Le Gange, vibrant de l'aube au crépuscule

La ville dort encore. Un brouillard gris nous enveloppe d'une torpeur toute relative, que troue par moments notre lampe de poche, car de l'aube au crépuscule et du crépuscule à l'aube, Vârânasî la vibrante, Bénarès la bouillonnante vit intensément. Il est 5 heures, nous enjambons le plat bord  du petit bateau à rame que nous désigne un vieil indien, tandis que notre guide mâchonne quelques mots d'anglais, la bouche pleine de béthel, un filet de salive rouge à la commissure des lèvres. Il sera notre passeur de rives, notre initiateur à cette vie étrange qui se déploie sous nos yeux, le Charon de notre mythologie indienne, sur ce Styx-Gange éternel. Seul, le bruit assourdi des rames, comme feutré, trouble la brume. Nous longeons les rives de la cité millénaire, cette antique civilisation qui semble n'avoir pas bougé depuis ses origines. Peu à peu, le ciel s'éclaircit à l'Est, les lumières de la ville s'éteignent une à une, et nous distinguons les formes qui se meuvent sur les ghats. D'autres bateaux glissent silencieusement sur l'eau. Notre guide est avare de mots, tout occupé à sa mastication... En silence, nous nous laissons pénétrer par l'ambiance. Au fil de l'eau, nous apercevons les groupes qui s'activent sur les berges, battant énergiquement le linge, s'immergeant rituellement dans l'eau. Plus loin, sur les marches, les flammes de grands brasiers dégagent une fumée dense, au milieu de tas de bois que déchargent sans cesse des barques venues de la forêt de l'autre côté du fleuve. Une intense activité a lieu autour des bûchers funéraires, des centaines de personnes s'activent silencieusement. Nous croisons plusieurs barques chargées de bûchers, la famille accompagne ses morts jusque sur le Gange, soufflant dans des coquillages, dispersant des fleurs sur les eaux sacrées, agitant des clochettes... Les ghats se succèdent, l'intensité de la foule sur les berges augmente, les bruits résonnent plus fort, la brume s'est levée, la vie continue. L'Inde nous rentre dans la peau....

Ce jour est un jour important dans le Festival Durga Puja, celui où l'on honore Kali, la déesse de la préservation, de la transformation et de la destruction.

 

De retour (quoique... pas tout à fait revenus..) de notre excursion, un copieux petit déjeuner nous permet d'envisager la suite de la journée... Nous faisons la connaissance d'Alain, septuagénaire passionné par l'Inde et ses cultures, qui y passe chaque année 4 mois, depuis 6 ans, et nous narre avec enthousiasme les fastes des 23 épisodes du Râmayanâ, joué 23 soirs de suite dans la rue, en un grandiose festival théâtral. L'arrivée, en grande pompe, du Maharadja, adule de son peuple et monté sur son éléphant d'apparat, escorté de son timbalier et de ses gardes, qui n'a plus aucun pouvoir politique mais conserve une considérable aura spirituelle, est un grand moment, au parfum suranné... L'image des Indes d'autrefois... La tentation est forte, de traverser le Gange pour aller assister à ce grand moment de théâtre, vécu par les indiens plus comme un moment de ferveur religieuse... mais après les chanteurs viennent les acteurs, et la soirée se termine après 22h... Or, nous naviguions sur le fleuve sacré dès 5h du matin, et la journée sera encore bien remplie... Un peu frustrés de devoir nous contenter des photos lumineuses et des explications érudites et passionnées d'Alain, nous prenons congé pour rejoindre notre guide. 

 

A 9 heures, comme convenu, un chauffeur de rickshaw passe nous prendre à la Guest House, pour nous proposer un circuit de découverte et visites. Nous commençons par le temple Kashi Vishwanath, dédié à Shiva, dans l'enceinte de la Benares Hindu University. Nous sommes samedi, il y a foule, et après avoir ajouté nos sandales à l'énorme tas de chaussures qui jonche l'entrée, nous nous joignons à la foule des pèlerins, les hommes d'un côté, les femmes de l'autre, qui se retrouvent à l'intérieur.

 

Le Monkey Temple, également dédié à Shiva, fait partie des lieux qui ont eu à déplorer des attentats, et son accès est désormais strictement soumis à une fouille corporelle vigilante. Pas de photo possible... Les centaines de macaques qui envahissent les lieux font partie du décor, mais se montrent volontiers agressifs et conquérants, nous sommes sur leur territoire...

 

Le Mother India Temple n'a rien de beau ni de spectaculaire, si ce n'est une carte de l'Inde en marbre et en relief, sculptée au sol...

 

Pour terminer cette matinée, nous changeons encore d'univers, et nous faufilons dans les petites ruelles (1,2 mètres de large !) du quartier musulman, en direction de l'une des spécialités artisanales de Vârânasî, les silk factory. Le bruit assourdissant des métiers à tisser nous étourdit, par les fenêtres à claires voies nous apercevons les engrenages métalliques, les montants de bois et les bobines colorées qui se dévident, ainsi que les visages attentifs des tisseurs, penchés sur leurs métiers... Les petites pièces sont sombres et humides, insalubres, à peine plus grandes que les métiers... Nous observons d'abord les hommes marteler au poinçon le motif à reproduire, fleurs ou géométrie, sur des cartons épais qu'ils trouent selon un code, ainsi que sont oblitérés les cartons des orgues de Barbarie... Puis les bobines de fils de soie, les métiers, et enfin la fabrique, où, bien sûr, il nous est proposé de repartir avec les œuvres d'art dont nous avons admiré la conception... Ambiance soyeux et canuts, retour quelques siècles en arrière concernant les conditions de travail...

 

Demain soir, après une dernière journée dans la ville sainte du bord du Gange, nous ferons une nouvelle expérience, en quittant l'Uttar Pradesh en train de nuit, pour 12 heures de traversée du pays jusqu'à New Delhi, la capitale, où nous aurons la joie de retrouver Manue et Javier, qui y vivent depuis... 3 semaines !

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Commentaires: 3
  • #1

    Le Parrain (dimanche, 09 octobre 2016 20:18)

    Waou, ça semble bien plus vertigineux que l'Himalaya, portez-vous bien, je ne sais pas si je saurais encaisser un tel choc.
    Bisous à tous.

  • #2

    vio (lundi, 10 octobre 2016 07:51)

    J'ai l'impression que plus les pays sont pauvres, plus les tenues rivalisent de couleurs. Et les habitants de ferveur religieuse.
    Dernière étape, ça va vous faire drôle de vous poser une vingtaine de jours, de dormir chaque soir dans le même lit (sans puces!).., de vous ballader sans 15 kg sur le dos!
    Est ce que les habitants utilisent les bouses de vache comme combustible?
    Avez vous prévu de voir le taj mahal?
    Bonne arrivée à new dehli! bises les picpic!

  • #3

    Palenquin et Tartiflette (lundi, 10 octobre 2016 08:56)

    Coucou les amis! Nous voici de retour à la vie connectée! On en profite pour rattraper notre retard sur votre blog....c'est toujours un vrai régal! L'Inde n'est pas un pays qui nous attire spécialement mais avec vous, nous sommes transportés vers cette culture et ses paysages. C'est une vraie découverte haute en couleur pour nous! On en a profité pour mettre un peu de fraîcheur sur le notre aussi... Nous partons pour la Russie demain, le retour s'amorce et on se projette deja vers la France....et surtout nos retrouvailles autour d'une bonne raclette!! des gros bisous à vous, on attend la suite avec impatience comme toujours!!