Dès la frontière népalo-indienne, nous sommes dans le vif du sujet. C'est notre dernier passage de frontière de ce tour du monde... Et autant l'avion ne nous emballe pas plus que ça, autant nous adorons franchir à pied ces lignes imaginaires organisées par l'homme... Hier, nous avons réellement changé d'univers. Nous nous étions préparés à vivre une journée épuisante, mais la réalité a dépassé nos espérances... Levés à 6h du matin à Lumbini, nous nous sommes couchés à minuit à Varanasi, après 1h de minibus, le passage successif des postes de frontière népalais puis indien à pied, 4h d'un bus folklorique jusqu’à Gorakhpur, puis l'attente du train, pour un trajet de 6h comme on n'en recommencera plus jamais, et enfin 1/2h de tuk tuk dans Varanasi, pour trouver un hôtel à plus de 23h, alors que nous n'avions rien réservé... Si j'ajoute que la température devait bien se compter en 5 dizaines de degrés, qu'Arthur était brûlant de fièvre pour le 4ème jour consécutif, qu'il a développé une gigantesque allergie de peau type urticaire géant, et que nous avons tous les 5 rapporté du Chitwan les douloureux souvenirs laissés par milliers, sur les chevilles, par des puces, la journée n'a pas été facile...
Le plus éprouvant demeure, sans nul doute, cet improbable trajet de train. Dès la gare, en tout début d'après midi, pour aller réserver nos billets, nous devons enjamber des enchevêtrements de corps agglutinés au sol, étendus à même le béton dans des odeurs pestilentielles d'excréments et de chair putréfiée... Des familles entières qui attendent le train, des mendiants, des sadhus, ces mystiques nus, ou tout de orange vêtus, saints hommes qui consacrent leur vie à la recherche du nirvana hindou... pas un centimètre carré qui ne soit occupé, en une densité affolante. Naïvement, nous prenons 5 places dans le train... ce n'est qu'après avoir interminablement longé tous les wagons de cette machine, sur le quai de gare le plus long du monde (si, si, un panneau l'atteste fièrement, la gare de Gorakhpur compte 1km300 de quai !), que nous comprenons : aucune place ne nous est attribuée, tous les wagons sont pleins à craquer, et il va nous falloir lutter pour nous trouver quelques mètres carrés... Il est 16h, l'épuisement est déjà total, nous sommes encombrés de tous nos sacs et il est fort déconseillé de s'en séparer une seule seconde, les compartiments n'ont pas de vitres mais des barreaux métalliques aux fenêtres, les ventilateurs des plafonds ne fonctionnent pas, les toilettes débordent dans le couloir, et les 8 places de chaque compartiment sont occupées par une moyenne de 22 personnes, plus les bébés sur les genoux, et les hommes qui se hissent, accroupis, sur les hayons métalliques utilisés comme des couchettes, au-dessus des banquettes... Nous choisissons un wagon au hasard, et à l'intérieur, un compartiment qui semble un peu moins rempli... Les regards sont insistants, et nous allons découvrir que les indiens, en plus de dévisager lourdement (même si c'est avec bienveillance), ont le contact physique très facile, palpant et tâtant les enfants... Aux gestes d'une vieille dame, nous réalisons alors que nous sommes dans un compartiment et un wagon exclusivement réservés aux femmes... mais deux jeunes filles invitent Ludo à rester, arguant que cette règle n'est plus respectée par personne... et effectivement, au fur et à mesure du long trajet, hommes et femmes se mélangeront.
Peu à peu, l'Inde se dessine sous nos yeux, dans ses aspects les plus sublimes comme les plus sordides. Décharges partout, accumulation d'immondices, odeurs putrides et nauséabondes, corps décharnés, poussiéreux, mutilés, violentés, exposés, meurtris... mais aussi éclat des saris, lumière des regards, noir luisant des peaux sombres, rires des écoliers pédalant énergiquement, à 4 sur un vélo, splendeur décadente d'une architecture somptueuse, fragrance de jasmin, de cannelle, de curry et de masala, éclat du safran, du vermillon et du grenat...
Pour se différencier de son imposant voisin, le Népal a choisi de décaler ses montres d'un quart d'heure... Ce sont donc 15 minutes très symboliques que nous avons perdues en franchissant cette drôle de frontière...
Arrivés à Varanasi, l'autre nom de Bénarès, ville sacrée entre toutes, arrosée par le Gange, il nous faut encore nous orienter, et chercher un toit pour la nuit... Nous avons hâte qu'un jour nouveau se lève.
L'Inde tranche, surprend et interroge. « Incredible India », tel est le slogan adopté par le ministère du Tourisme. Découvrir l'Inde, que ce soit pour ses monuments, pour la rencontre de ses peuples ou pour une quête spirituelle, c’est risquer de façon irréversible de bouleverser sa conception de la réalité. Les odeurs parfumées ou pestilentielles, les couleurs vives des saris ou la pâleur poussiéreuse de l’atmosphère, la stimulation des épices et la douceur maternelle du lassi, les klaxons stridents et la volupté de la flûte, la grâce de l’architecture, le raffinement des arts et l’hideux étalage des ordures quotidiennes brouillent nos sens et les déroutent. Utilitaristes, nous nous retrouvons désarmés par des modes de vie fondés sur le non-agir et sommes démunis devant un monde bâti sur l’invisible et l’archaïque et qui est pourtant si ingénieux face aux défis de la modernité. Charmeurs, séducteurs et joueurs, les Indiens n’en restent pas moins insondables. Sensibles là où nous ne le sommes plus, indifférents là où nous sommes si sentimentaux, ils nous décontenancent, et nous nous perdons. Se perdre, c’est le luxe qu’offrent encore l’Inde moderne et ses vestiges antiques. Nous voilà dans le chaos d’une réalité nue, si nue que l’on croit rêver. Mais l’Inde n’est pas un rêve : le sublime y côtoie l’immonde et le quotidien danse avec les dieux. Dans cette région, d’où sont nées la plupart des religions du monde, les charlatans cachent, tels des gardiens du temple, de secrètes sagesses immémoriales. Les artisans et les musiciens transmettent les traditions véritables à leurs élèves disciplinés et les touristes achètent leur salut, endormis par les paroles opiacées de charismatiques gourous.
L’univers indien est fait de croyances et de dévotion. Quand l’action d’aujourd’hui détermine la vie de demain, la notion du temps change. L’Inde et ses castes, la volonté du Karma, la puissance de la destinée. Cette vision « explose », fait sursauter l’âme occidentale souvent perdue dans un monde matériel. L’omniprésente force du sacré, troublante, ouvre la porte inconnue du divin. « L’Orient pour s’orienter », selon Henri Michaux, car l’Inde agit parfois comme un phare. Provenant des grandes sociétés de consommation où la dimension spirituelle de la vie tend à s’effacer ou à passer au second plan, beaucoup se retrouvent ou se perdent dans la vision ésotérique de l’univers indien. Un choc qui ne laissera en tout cas personne indifférent. Car c’est un monde plus doux et plus dur, où les vaches sacrées ne seront jamais folles, où la nourriture végétarienne remplit les assiettes. Tous les visiteurs qui arrivent en Inde pour la première fois sont d’abord égarés, sans repères dans un ailleurs qui les dépasse. Le dépaysement est total : l’étrange système des castes, les vaches sacrées, les cobras vénérés, le mysticisme des sadhus, les rickshaws, les mille facettes de l’hindouisme qui défient notre entendement et tant d’autres choses, ce voyage ressemble à un songe. Rêver les yeux ouverts, voilà indéniablement de quoi donner envie de quitter la rive, de voguer gentiment à la dérive. L’Inde permet de relativiser...
Ce matin, nous découvrons avec bonheur notre environnement. Le soleil se lève sur le fleuve sacré, et nous sommes frais, impatients d'aller à la rencontre de la ville, coeur de l'Utar Pradesh. Et puis, Arthur n'a plus de fièvre, et la connexion internet est meilleure que jamais, nous devrions même pouvoir mettre à jour nos photos ! La journée a tenu ses promesses, mais nous narrerons notre émerveillement demain...
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mireille (jeudi, 06 octobre 2016 22:58)
bon...alors.l' inde ça décoiffe!!!!...rencontre du côté du ...choc ...pourtant vous en avez vu d'autres selon l'expression bien connue
Je comprends la fatigue, la promiscuité, la chaleur et les conditions de voyage très ...particulières! tout cela ajouté ...
De plus une sorte de compte à rebours commence , j'ai bien pensé à vous même si nous avons assez peu communiqué ces derniers temps; dans un mois à peine de retour....la dernière tranche de voyege...
pleins de bisous à vous tous
chouette Arthur tu es guéri...ça aussi c'est l'inde!
vio (vendredi, 07 octobre 2016 07:58)
La grande Inde et ses contrastes se laissent doucement apprivoiser....
J'attends les récits de votre émerveillement!
Et j'embrasse tendrement les fievreux et autres puceux!
Mamou, Papou (vendredi, 07 octobre 2016 11:03)
quel contraste !!! bravo Arthur tu es guéri, maintenant vous allez découvrir un autre monde, puis ce sera le retour
bisous à ous
Anne (vendredi, 07 octobre 2016 11:45)
Coucou les voisins Brindasiens, on pense bien à vous, profitez de ces derniers instants très intenses ... samedi nous recevons des copains avec leurs trois enfants qui repartent en France le 31 octobre apres une aventure américaine d'un an... alors grosse grosse pensée pour vous ... il nous faudra attendre avril pour nous retrouver car nous prolongeons de quelques semaines notre séjour ! Bisous à tous ! (Arthur nous voilà rassurés tout de même ... bravo !)