"On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait" Nicolas Bouvier

Il est temps que nous quittions le Népal... Nous n'arrivons plus à apprécier suffisamment ce pays, son organisation, son rythme... C'est aussi que la montagne nous était rentrée dans le corps, que nous nous étions remplis de toute cette beauté, de toute cette fraîcheur, de ces grands espaces et larges horizons, et que la moiteur environnante nous parait d'autant plus insupportable... La touffeur des plateaux du sud nous oppresse...

 

Ce matin, levés à 6h, notre bus est parti à 9h... autant de temps passé à patienter, sous un ardent soleil, et dans une poussière à couper au couteau... On se demande toujours comment il est possible que le temps soit à la fois si humide, et si sec. La moiteur ambiante est torride, les averses de mousson, quotidiennes et violentes, qui ruissellent et emportent tout sur leur passage... Mais moins d'une heure après, la terre a tout bu, avec avidité, et de nouveau la poussière recouvre tout, les feuilles des arbres et des plantes, les marchandises des étals des petites échoppes, la peau...

 

Nous avons donc le choix entre deux catégories de bus : les "locaux", qui sont bon marché et s'arrêtent dans tous les villages, et les "touristiques", qui coûtent deux fois plus cher, vont deux fois plus vite, et sont sensés aller d'un point à un autre sans s'arrêter... En l'occurrence, nous n'avons pas le choix, entre le Chitwan et Lumbini, il n'y a que des bus touristiques. Nous sommes sensés parvenir à destination en 4h... mais finalement, ce sont 6h qu'il nous faudra pour arriver à Dairawa, à 5 km de la frontière indienne, avant de reprendre un autre bus pour Lumbini, une heure encore... Le tout pour faire bien peu de kilomètres, et dans des conditions... Nous n'avons acheté que 4 billets : Arthur voyagera sur nos genoux... Pendant la première demi-heure, il fait déjà une chaleur étouffante, peut-être 50 degrés, sans le moindre souffle d'air, mais le bus n'est pas plein, et nous prenons chacun un siège... mais rapidement, non seulement tous les sièges sont occupés, mais une quarantaine de personnes s'entassent dans l'allée centrale... Mille fois déjà, nous avons pris nos billets (600 roupies pour nous, environ 60 pour les locaux...), puis, en voyant femmes, enfants, et vieillards s'agglutiner dans l'allée, nous avons évidemment cédé nos sièges, nous retrouvant tous les 5 entassés sur 2 places, durant des heures... Cette fois, nous sommes en colère, et la chaleur nous rend mal... Taraudés par la mauvaise conscience, nous gardons nos 4 places, supportant les paquets qui encombrent nos jambes, les gens assis sur les accoudoirs, penchés sur nos têtes, ceux qui se couchent littéralement sur nous pour atteindre la fenêtre toutes les 2 minutes, le temps de lancer un long jet de salive brune ou rouge de tabac chiqué ou de béthel, après de bruyants raclements de gorge, les bébés que les femmes posent sur nos genoux entre 2 (looooongs !) arrêts... A un moment, l'espoir naît, de terminer le trajet dans de meilleures conditions : le chauffeur et son aide vident littéralement l'allée centrale dans un autre bus, juste devant nous... Mais, 500 mètres plus loin, tout le monde réintègre ses quelques centimètres carrés d'espace vital, et nous comprenons qu'il y a juste eu un contrôle de police, pendant lequel le bus a été, disons, aéré...

 

Après ce trajet éprouvant, nous sommes tous harassés, et on se demande pourquoi on est là... Dans la rue, l'architecture a changé, les paysages aussi : il y a des décharges à ciel ouvert tous les 2 pas, dans lesquelles les animaux cherchent leur pitance, ainsi que des groupes d'enfants... Les villages semblent chaotiques, l'organisation déstructurée, les femmes font la queue aux fontaines avec des piles de bouteilles en plastique, dans notre Guest House les coupures d'électricité, auxquelles nous sommes pourtant habitués, se multiplient, jusqu'à 5 ou 6 par heure, quand elles ne durent pas des heures... Tous les hôtels ont des réseaux solaires ou des générateurs pour y pallier.... La pauvreté s'affiche, des enfants de la rue mendient, viennent s'agripper à nous, et volent même dans nos assiettes au restaurant... Peut-être est-ce la chaleur, la fatigue, qui nous rendent si difficiles ces manifestations vivantes de la difficulté de vivre ? Nous en avons pourtant vu d'autres... L'impression n'est pas la même en milieu urbain et à la campagne, ici et en Amérique latine... Après tout, les loupiots des grands bidonvilles d'Equateur, j'ai travaillé avec eux... suis allée sous les toits de tôle qui leur servaient de refuge insalubre... et je parlais leur langue ! Au Guatemala, au Honduras, au Nicaragua, en Indonésie, nous avons aussi côtoyé la grande misère, et été les témoins des manifestations sensibles de ce grand dénuement... mais là, ça nous rend particulièrement mal. Les enfants questionnent, ne comprennent pas, ne savent comment réagir... On parle de l'Inde... et on se dit qu'il va aussi falloir se protéger !

 

Ce voyage nous aura souvent évoqué celui de Nicolas Bouvier... à l'ère des connexions internet ! D'ailleurs, je lance un appel, je ne sais plus à qui j'avais prêté, il y a des années, l'intégrale de ses cahiers de voyage, offerte par mes parents en 1999, après l'obtention de mon DEA... je ne l'ai jamais récupéré...

 

Si nous sommes venus passer quelques jours à Lumbini, c'est que c'est le berceau du bouddhisme, le lieu de naissance du Prince Siddhârta, lieu historique de pèlerinage depuis 2 200 ans, vers lequel convergent, aujourd'hui encore, les bouddhistes du monde entier, la Jérusalem et la Mecque des bouddhistes... Chaque pays a progressivement construit ici le temple, la pagode, le monastère qui interprète sa vision de la philosophie du Bouddha, faisant fleurir les monuments sur une zone plus grande que la superficie de la petite ville elle-même...

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Commentaires: 3
  • #1

    tiline (mardi, 04 octobre 2016 08:08)

    Forcément, un tel voyage vous pose à un moment ou un autre face à des contradictions, des dilemmes, face à vos limites... Je pense qu'il y a aussi le contre coup de votre trek, une telle aventure doit nécessiter un temps de redescente, après avoir tutoyé l'isolement des sommets, il vous faut sûrement un tps de réadaptation à la civilisation, pour vous remettre au rythme de l'Autre, pour laisser s'immiscer à nouveau le monde extérieur dans votre dialogue avec la nature ..
    La suite promet pourtant d'être belle! Courage pour les trajets et la chaleur, nous ici nous ressortons lentement les pulls.
    mille bisous rafraichissants sur vos joues même poussiéreuses!!

  • #2

    mili (mardi, 04 octobre 2016 10:58)

    Vio a raison concernant la redescente dans la brutale réalité, qui demande un temps d'adaptation, mais on ne doit jamais vraiment s'habituer à cotoyer un tel dénuement! Siddarta a du vivre ce choc en son temps: on sait ce qu'il en a fait...Vous en ferez surement aussi avec le recul, quelque chose de positif...

  • #3

    Mamou (mardi, 04 octobre 2016 11:06)

    je me joins à Vio et Mili, il faut laisser au temps le retour vers la civilisation,
    bisous