Jour 4 : de Tadapani à  Syauli Bazar

Je me réveille en sursaut, il est 6 heures. Effaçant la vitre embuée, je jette un rapide coup d’oeil par la fenêtre et bondis hors du sac de couchage malgré le froid. Il a plu toute la nuit, et j'ai encore l'espoir de contempler,  ce matin, le Machapuchare... Mais le réveil est rude et le moral, dans les chaussettes. On n'y voit pas plus loin que le toit du lodge... Le poêle de la salle commune est éteint,  tous nos vêtements sont encore mouillés, et les chaussures détrempées... J'ai pris froid, mal à la gorge, et me prends à rêver de la douce chaleur tempérée de la vallée... Nous avions rêvé de 6 jours de marche dans un cadre sublime,  et au bout de 3 jours,  nous n'avons toujours rien vu du toit du monde, nos chaussures ont rendu l'âme, percées de toutes part, nous n'avons plus rien de sec à nous mettre, et je me dis que les conditions de marche ne pourraient pas être pires... Je vais me recoucher,  il sera bien temps de prendre des décisions tout à l'heure. 

 

A 8h, on attaque un petit déjeuner à base de pain gurung tibétain et miel. Les enfants sont en forme, déçus de ne pas voir le ciel derrière son épais manteau de nuages, mais motivés. On serre les dents en enfilant nos vêtements froids, boueux et humides de la veille, on s'emmitoufle dans nos ponchos de pluie, et on se met en route, sous la pluie. On marche d’un bon rythme, s’enfonçant dans la forêt aux arbres vertigineux (ici les rhododendrons sont des arbres gigantesques), recouverts de mousse et dégoulinants d’humidité. On suit le cours de la rivière en faisant attention de ne pas glisser. Ca descend tout le long, le sentier est transformé en cascade par la pluie, les genoux sont très sollicités. Arthur commence à développer une petite phobie des sangsues, il traîne la patte et a sans cesse la sensation qu'une bête lui grimpe dessus, la fatigue se fait sentir, plus rien n'est rationnel. Pour couronner le tout, après une chute sur une pierre glissante, sans gravité, nous nous rendrons compte que la tablette, qui avait si bien résisté aux 10 premiers mois de voyage, dans des conditions parfois difficiles, s'est cassée...

On arrive au charmant village gurung de Ghandruk à l’heure du déjeuner. Le Machapuchare est dans les nuages, nous n'apercevrons pas une seule fois sa forme caractéristique en queue de poisson... C'est ici que nous devons décider de nous arrêter pour la nuit, comme le prévoit la classique étape du trek, ou de continuer. Et là, deux options : aller en direction de Landruk, ce qui nous donne la possibilité de marcher un jour de plus, ou descendre jusqu’à Syauli Bazar, à 2h d'ici, et y passer la nuit, avant de continuer, le lendemain, vers Nayapul, pour boucler la boucle et prendre le bus pour Pokhara. La raison nous souffle qu'il faudrait s'arrêter là, que les enfants ont bien marché, qu'il faut tenir compte de leur fatigue... Mais la déception est grande, et difficile à prendre, la décision de renoncer à une journée de marche, sur des chemins depuis lesquels, peut-être,  on pourrait encore voir les géants de glace... Tant pis, nous reviendrons en Himalaya, mais pour aujourd'hui nous nous remettons en marche, direction Syauli Bazar.

 

Nous continuons à perdre de l'altitude, et avec le retour dans la vallée, la température change, malgré la pluie, le gris et la brume. Nous retrouvons la chaleur et les rizières en terrasse, nous sommes sous les nuages, et pour la première fois depuis 4 jours, notre vue porte jusque sur l'autre versant de la montagne... Mais la promesse des sommets enneigés reste vaine, nous ne voyons que le vert des cultures... Nous croisons des chevaux chargés, ils sont utilisés jusqu’à 5 200 mètres d'altitude, alors que les buffles ne dépassent pas 3 500 mètres et ne sont pas utilisés pour le transport de charges, et que les yaks, eux, ne descendent pas en dessous de 4 000 mètres...

 

A Syauli Bazar, la Guest House est très accueillante, au bord de la rivière. Le jardin est très coquet avec de jolis parterres de fleurs, des tables et des fauteuils dehors qui inviteraient à la détente sil ne pleuvait pas. On dîne d'une sorte de crique de pommes de terre et d'un excellent dhaal bhaat, servi avec une sorte d’épinards/blettes locales légèrement acidulées, un carry de chou-fleur et pommes de terre bien épicé, des haricots rouges, de délicieux pickles et un dhaal de lentilles bien parfumé au gingembre. Les maisons sont en pierre ici et non en bois comme dans les villages précédents. Les toits sont couverts d’ardoises qui luisent au soleil. Il suffit de s’éloigner de la route principale du trek qui ne comporte que des guest houses pour rencontrer la vie classique du village. Chacun s’attèle à sa besogne : s’occuper des champs, couper et porter du bois, laver le linge, refaire les marches d'ardoise du chemin, couper à la serpette les bambous qui seront tressés pour en faire un doko, ce panier traditionnel porté sur le dos. Ce sont les femmes qui travaillent dans les potagers. Elles portent souvent un grand foulard en laine rouge noué à l’arrière de la tête et de nombreux bijoux d'oreilles et de nez, avec le tilak hindou, le point rouge au milieu du front.

 

C'est donc notre dernière nuit dans les montagnes... Dans le hameau précédent, nous avons eu la surprise de croiser un bus, et ce retour aux voies de communication de la civilisation nous a surpris et décontenancés... On se rend compte qu'en peu de temps, on s'est bien coupé de ce qui fait le quotidien dans une petite bourgade, avec toutes les facilités... dont internet... A aucun moment, les enfants n'ont réclamé plus de confort, rechigné à boire l'eau de la rivière, ou rouspété pour aller aux toilettes alors que ce ne sont que des trous creusés dans la terre, à l'écart de la maison... Comme chaque fois que nous avons eu l'opportunité de marcher, nous savons que ces moments privilégiés entre nous et chacun avec soi-même, opèrent de profondes transformations en nous, que l'expérience de cette sorte de dématérialisation de la vie, de retour aux fondamentaux ne laisse pas indemne, et cette proximité avec une nature démesurée,  même à peine entr'aperçue,  bouleverse... C'est la première fois que nous faisons un trek itinérant avec les enfants, et ça change tout, de ne pas revenir dormir chaque soir au même endroit, de porter son matériel... Ils y ont pris goût...

 

Demain soir, nous serons à Pokhara, mais il nous reste encore une chance, au petit matin, d'avoir le bonheur d'admirer le Machapuchare...

Écrire commentaire

Commentaires: 2
  • #1

    mili (mardi, 13 septembre 2016 11:49)

    On est déçus, émus, bouleversés avec vous. Et fiers et admiratifs de nos petits, de leur enthousiasme ,courage et ténacité.
    De gros calins à Arthur pour le consoler des sangsues (mais ça n'évite pas de désinfecter!) et gros baisers à tous

  • #2

    Mamou (mardi, 13 septembre 2016 12:28)

    Nous sommes comme Mili et admiratifs de nos petits enfants;
    Arthur gardera un souvenir de ces horribles sangsues qui'il haissait avec une photo (si vous avez)
    Peut-être que demain matin sera le bon moment pour voir une dernière fois le Machapucharé.
    Bisous hymalayen à vous 5