Vers 6h30, une exclamation enthousiaste s'élève de la chambre des enfants : on voit quelques centimètres carrés de montagne enneigée ! Entre les toits des maisons du village, on aperçoit un petit bout de l’Annapurna South et Hiunchuli. Enfin, du moins on suppose, car quelques minutes plus tard, c’est déjà bouché… Les nuages avancent vite ici. La nature est reine, et on accueille ce qui nous est offert... Nous sommes tout près des sommets les plus hauts du monde, mais nous savons qu'il est aussi possible de repartir, après 6 jours de marche, sans les avoir vus...
Les enfants sont dans les starting blocs. Après un délicieux pancake et un muesli, Samuel offre au patron de la Guest House le bâton qu'il a taillé et gravé avec son opinel, et nous partons nous fondre dans les nuages enveloppants... qui ne se dissiperont pas de la journée. Nous avons un bon rythme, malgré la flopée de marches qui grimpent assez abruptement. Ce qu’on ne sait pas encore, c’est que les escaliers, on va en monter encore beaucoup durant ce trek ! Le chemin redescend ensuite vers la rivière avec une série de petites cascades qui agrémentent la route. En quelques heures, nous traversons des ponts métalliques suspendus, et atteignons Nangge Tanti. Nous y faisons une pause appréciable autour d'un thé, puis nous empressons de marcher, car dès que l’on se pose, on se refroidit aussi vite que l’air ambiant. Le trajet continue à travers un sentier forestier très agréable. La forêt est dense et humide, les arbres sont barbus, une mousse verte et pendante leur donne une silhouette fantomatique qui s'estompe dans le brouillard, nous n'y voyons pas à deux pas. La pluie se met à tomber, fine d'abord, puis drue, nous sortons les vestes et les ponchos, protégeons les sacs et nous réjouissons d'avoir eu la bonne idée d'envelopper vêtements et duvets dans des sacs plastiques, ainsi que les frontales, et les chargeurs d'appareils électroniques...
Nous croisons ou dépassons des trekkeurs, tous avec guides et porteurs, ces derniers souvent en tongues, avec 3 à 4 sacs harnachés sur le dos. Encore des souvenirs de nos expéditions dans les Andes... Les enfants s'étonnent de voir des adultes confier leur sac à un porteur, les pouces se lèvent en signe de victoire et d'encouragement à notre passage, il semble décidément qu'il y ait peu d'enfants marcheurs, et les nôtres impressionnent... Ils s'aident de longs bambous coupés à l'opinel, et font la chasse aux sangsues. Comme au Cambodge et au Laos, en cette période de mousson, un impitoyable ennemi du marcheur prend les traits de cette minuscule sorte de limace noire rampante, qui n'a pas son pareil pour escalader discrètement les chaussures, et grossir eu fur et à mesure qu'elle nous pompe le sang... Aucune douleur, mais la figure terrifiante du vampire impressionne Arthur, qui n'aime pas voir de sang, et le risque de maladie infectieuse n'est jamais exclu...
Un peu avant 14h, nous arrivons au village de Ghorepani, à 2 800 mètres d'altitude. Un check point tout ce qu'il y a de très officiel vérifie nos passeports et tamponne nos cartes de trek, Samuel rêve de plastifier la sienne pour agrémenter l'exposé qu'il souhaite faire aux élèves de sa classe sur l'Himalaya... D'ailleurs, il a écrit un poème en marchant, intitulé : "je bois les nuages, je mange l'univers, je marche sur la terre". Il faut dire que les enfants sont capables, eux, de marcher en parlant sans discontinuer, cinq heures durant !
Nous trouvons un adorable lodge, à la façade bleue et blanche. Le choix de la chambre est stratégique, on prend celle qui voit passer le tuyau du poêle à bois avant de percer le toit. Le poêle est un grand bidon métallique, autour duquel la convivialité s'organise rapidement. Nous faisons connaissance avec un groupe de coréens et leur guide. Nos chaussettes fument en séchant... Nous commandons un daal bhaat et deux assiettes de pâtes. Nous sommes devant les Annapurnas mais ne voyons pas le toit de la maison d'en face... Nous voulions explorer le village, mais une fois douchés, repus, et installés devant le poêle, la grisaille et l'humidité extérieures ne nous tentent plus, et les enfants sortent leurs carnets de voyage pour écrire et dessiner, tandis que nous discutons avec Raju... Hier, nous voulions visiter l'école de Ulleri, mais nous sommes arrivés alors qu'elle venait juste de fermer. Aujourd'hui, nous apprenons que l'école du village a fermé il y a 2 ans, faute d'élèves... les familles avec enfants sont descendues dans la vallée, à Pokhara.
Tout d'un coup, on entend chanter "frère Jacques" et "alouette" en français... C'est la dame qui tient le lodge qui a appris avec les nombreux trekkeurs francophones, et qui s'intéresse beaucoup à nos enfants... Fous rire, chaleur des échanges.
Et puis, alors que le ronron du poêle et des discussions nous engourdit doucement, un mouvement se fait imperceptiblement en direction de la terrasse, comme une clameur, et nous restons sans voix : la pluie a cessé, et une trouée dans les nuages nous offre une vue époustouflante sur l'Annapurna Sud (7 219m), majestueux, le Hiunchuli (6 441m), et toute la chaîne du Dhaulagiri (8 167m). Nous nous empressons d'enfiler nos vestes, encore mouillées, et de grimper sur la terrasse. Nous sommes incroyablement près, et nous sentons tout petits... L'émotion, inattendue, nous étreint, et les larmes jaillissent. Nous chantons, dansons, embrassons les coréens... et Samuel perd sa dent. Le spectacle est au delà de toute espérance. Il dure presque 45 minutes, puis les nuages et le gris envahissent de nouveau la vallée, et la pluie reprend son rythme sur les toits d'ardoise...
A 20h, les enfants dorment à poings fermés, et nous croisons les doigts pour que la pluie profite de la nuit pour tomber, et ait cessé à l'aube... Le réveil sonnera à 4h, nous allons voir le soleil se lever sur l'Himalaya.
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Mamou (lundi, 12 septembre 2016 11:15)
Enfin un peu de l'Annapurna visible, heureusement que les enfants étaient réveillés.
Nous constatons qu'Arthur a toujours la grande forme, il trotte devant tout le monde y compris le guide avec lequel il s'entend bien. Quant à Samuel il sculpte pour faire des cadeaux souvenirs. Quelle dent a-t-il perdu ??? je croyais que c'était Arthur qui avait sa dent noire à perdre.
Les enfants sont vraiment increvables, ils trottent depuis le matin très tôt jusqu'au soir, puis s'écroulent en rêvant de l'Everest et sa chaine de montagnes et du lever du soleil sur l'Hymalaya demain vers 4 heures.
Le trek se passe bien, à part les sangsues (qu'Arthur déteste) les échanges entre tous sont formidables, je crois que vous en garderez un souvenir inoubliable et que Samuel pourra raconter à sa classe ce qu'il a vu et ressenti devant tant de beauté.
Bisous bisous à vous 5