Lady Laxmi Button

Après le lapin d'hier, nous sommes partis ce matin pour visiter la fameuse fabrique de boutons. 15 minutes de taxi et nous voilà dans un nouveau coin de Kathmandu. Pas très touristique. Nous avons quelques repères donnés par Daniel mais devons tout de même demander notre chemin. Un premier essai dans une échoppe de tissu... infructueuse. Personne ne parle anglais et nous devons très mal prononcer les mots Népalais. Nous retentons notre chance dans l'épicerie d'à côté. La dame qui nous répond ne sait pas. Et vient son mari qui, par chance, porte une chemise à boutons ! Au diable anglais et népali, rien de tel que le langage des signes quand on ne se comprend pas. Après quelques précautions d'usage pour faire comprendre à mon interlocuteur que je vais lui toucher le ventre en tout bien tout honneur, je lui montre les boutons de sa chemise en y ajoutant l'expression fabriquée maison "laxmi button factory". La réponse ne se fait pas attendre et c'est de toutes ses dents qu'il nous indique où se trouve la fabrique, 200 mètres plus haut (encore une preuve de l'inutilité des GPS). Nous voici devant une grande bâtisse blanche de 4 étages avec un énorme bouton peint sur la façade. C'est bien ici, Daniel Tamang nous attend. L'accueil est chaleureux et la discussion part tout de suite sur la visite de la fabrique et l'histoire de "Lady Laxmi Sharma Button".

 

Notre hôte est le frère de la fondatrice de la fabrique. Il nous montre les créations, les projets en cours, la bibliothèque, le catalogue, la collection d'objets anciens (avec pour projet de faire un musée), le mur bardé de distinctions nationales et plus sur l'entreprise, et le mur de photos de tous les rois du Népal depuis que les éléphants existent (l'éléphant étant le seul animal dont la corne et les os ne sont pas utilisés dans cette caverne d'Ali Boutons). Bref, nous voici plongés dans une facette du Népal que nous n'avions pas encore vue et qui correspond à ce à quoi nous nous attendions. 

 

Et bien figurez vous qu'il y a de la créativité dans le bouton... et oui ! 600 boutons différents dans un catalogue, ça en impose. Il y en a en bois, en os, en corne, en noyaux de fruits, en coco, etc... de toutes les formes et de toutes les tailles. En plus des boutons, nous découvrons quelques objets tournés pour le matériel de couture, le crochet et le tricot. Et là, nous sommes bien au Népal. Ici, les boîtes à aiguilles sont en corne de buffle, ajourées en dentelle et ornementées d'éléphants. Les aiguilles à crochet sont en os et bois et la partie qui ne crochette pas est entièrement gravée et sculptée d'animaux et autres motifs symboliques. Objets du quotidien, avez-vous une âme ? Sûrement madame ! 

 

La visite de la fabrique nous permet de voir comment tout cela est fait. Le plaisir est le même que dans la tournerie du Nicaragua. Des tours en ligne, des moteurs à courroie délirants, des tourneurs assis avec des couteaux simples, sans manches ni viroles, des postes à polir, des postes à graver, des postes à percer, etc...   

 

Mais au fait, pourquoi des boutons ? Et bien tout est dans le nom... nous  commençons à comprendre. Sharma nous raconte son histoire. Une histoire de revanche sur la vie, une histoire de Népal et d'Inde, haute en couleurs  comme un Bollywood. Sans en donner les détails nous retenons que, partie de peu, pour ne pas dire rien, faisant des détours par l'Inde pour y apprendre la sculpture, puis le tournage, elle revient à Kathmandu et ouvre un atelier avec un associé. Les velléités artistiques se confrontent à la réalité économique. Et le salut lui apparaît dans le bouton. Facile à produire en série, utile et demandé, nécessitant une matière première peu chère  (aujourd'hui encore, la corne et l'os sont souvent récupérés, amenés dans l'atelier pour être séchés puis lavés), que la pièce unique du créateur aille au diable vau vert... pour un moment du moins ! 32 années plus tard, Sharma peut raconter sereinement ce qu'elle a fait. Ce sont plus de deux cents personnes qui ont été employées et formées dans sa fabrique. Les meilleurs, après 7 ou 8 années travaillées, réussissent à partir et à ouvrir leur propre entreprise. Les boutons bourgeonnent et améliorent ainsi le quotidien de pas mal de personnes l'air de rien.

 

Mais revenons au nom. Un nom qui ne possédait pas la partie Laxmi (Lakshmi en Inde). Laxmi, c'est un mot que l'on retrouve sur les banques, les panneaux publicitaires, les magasins, etc... alors nous demandons pourquoi. Ils sont quand même pas tous de la même famille ? Et bien non, français ignorant ! 

 

Laxmi, c'est le nom d'une déesse. La déesse Laksmî apporte la prospérité. Elle est aussi la Déesse de la Beauté. Elle est la fille du sage Bhrigu. Comme la déesse Athéna associée à cet animal, son véhicule est la Chouette. Elle se réfugia dans la mer de lait lorsque les Dieux l'eurent exilée. Elle renaît lors du barattage de la mer de lait. C'est une bienfaitrice qui aide à développer la richesse intérieure. L'or et les bijoux sont ses symboles. Elle s'incarne sur terre, à la suite de Vishnou, sous les traits de Sîtâ dans le Rāmāyana et de Draupadi dans le Mahâbhârata. Elle est représentée avec quatre mains désignant des vertus spirituelles. Des pièces d'or s'écoulent de l'une d'elles, tandis qu'elle bénit les fidèles. Elle n'est pas armée. Couronnée, elle porte un sari rouge et est assise sur un lotus. Elle est entourée de deux éléphants blancs, symboles de chance. Elle est elle-même vénérée par de nombreux dieux, dont Ganesh. L'étoile de Lakshmi, nommée Ashta Lakshmi, est composée de deux carrés superposés à 45° et symbolise les huit formes de vie de la déesse Lakshmi.

 

Alors, lorsqu'un Hindou veut la renommée, la connaissance, le courage et la force, la victoire, de bons enfants, la vaillance, l'or et les biens matériels, la nourriture en abondance, le bonheur, la félicité, l'intelligence, la beauté, un but Supérieur, une pensée élevée et la capacité de méditer, une bonne moralité et éthique, une bonne santé, une longue vie, il "Laxmicise" son nom. Et il donne ainsi une voie à sa vie. Une voie où le profit guide à peu près chacun de ses pas.

 

De triste mémoire, les racheteurs de Florange étaient des Lakshmi Indiens, pays dans lequel le mot s'érige comme une caste d'entrepreneurs sans merci (ceux qui achètent nos vieux bateaux pourris pour les découper en mille morceaux, les refondre et nous revendre les métaux à bon prix par exemple). On a vu ce que ça a donné !

 

Alors on en pense ce que l'on veut de tout ça vu de là où on est.

Mais vue d'ici, cette rencontre a été très riche humainement.

Vue d'ici, cette histoire fait réfléchir.

Vu d'ici, ça a permis à pas mal de monde de manger.

Vu d'ici, et bien on peut être créatif et productif.

Vu d'ici, la spiritualité et le profit sont guides.

Vu d'ici, il y a des histoires de revanche qui méritent d'être écoutées (et c'est pourquoi ce soir, nous avons commencé la lecture du comte de Monte Cristo aux enfants...).

Vu d'ici, demain nous partirons plus riches vers Pokhara.

Vu d'ici, c'est avec plaisir que nous retournerons manger avec Lady Laxmi Sharma Button pour qu'elle continue à nous apprendre une facette de son pays qui nous est bien étrangère et que l'on ne peut que regarder sans jugement.

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Commentaires: 4
  • #1

    mili (mardi, 06 septembre 2016 20:53)

    une histoire + belle que celles de la réussite américaine ou l'on ne compte que sur soi...Réussir en s'associant à une déesse,en comptant aussi sur elle, c'est romantique et il faudrait en faire un film. Elle a utilisé les animaux, pourquoi pas les dieux?
    Donc; que les dieux népalais vous accompagnent dans votre trek

  • #2

    vio (mercredi, 07 septembre 2016 08:06)

    C'est fou de découvrir le sens des choses, et surtout de comprendre que là bas, apparemment, rien n'est fait au hasard mais bien selon une logique spirituelle, culturelle, nécessiteuse, bref quelque raison que ce soit mais tout cela a du sens. Le point de départ des légendes est chouette, même s'il peut dévier quelque peu par la suite. Emouvante et déstabilisante histoire de buttons.. Pê qu'un joli bouton peut tenir dans la nouvelle sacoche d'arthur!
    allez, mille boutons.. heu bisous les loulous!

  • #3

    Mamou (mercredi, 07 septembre 2016 10:06)

    Athéna déesse de la sagesse est toujours présente, les photos des boutons sont superbes, j'aime beaucoup celle de la chouette (crochet), un travail d'artiste.
    Histoire des boutons très intéressante.
    gros gros bisous chouettes et bon trek

  • #4

    Le Parrain (mercredi, 07 septembre 2016 20:11)

    Alors si j'ai bien compris, la déesse de la beauté, elle a plein de boutons ? Ce que c'est, les différences culturelles, quand même !