Dhulikhel et la vallée de Kathmandu

La vallée de Katmandou représente, à bien des titres, la quintessence du Népal. Tirée selon la légende du lit d’un lac sacré par une divinité, Manjushri, c’est un patchwork de champs en terrasses et de villes dont les temples et les monuments témoignent du talent des architectes et des artisans népalais. Hélas, la vallée a beaucoup souffert lors du séisme de 2015. Ses villages médiévaux et ses sites religieux ont payé un lourd tribut, mais il reste encore beaucoup à découvrir, des temples multiséculaires aux points de vue sur l’Himalaya et aux deux routes qui mènent au Tibet.

 

Ils sont bouddhistes... sauf au volant ! Ils respectent la vie en toutes circonstances... sauf au volant... Telle a été notre pensée dans le bus nous menant de Kathmandu à Dhulikhel... Ici le volant est à droite, mais l'on conduit où l'on trouve de la place, une main sur le klaxon en permanence, et effectuer un trajet de quelques 30 kilomètres peut s'avérer un terrible défi aux lois de l'apesanteur et à la zen attitude bouddhique... pire qu'en Amérique du sud ! Entre les gravats encombrant la route, les éboulements et glissements de terrain, les vaches qui circulent sur la chaussée, les cyclo-pousses, vendeurs ambulants, piétons et tracteurs sur la portion partiellement goudronnée qui tient lieu d'autoroute... il faut savoir louvoyer...

 

Silhouettes, visages et vêtements des népalais de l'ethnie newar évoquant le Tadjikistan ! Femmes aux yeux de khôl et aux bijoux de poignets, chevilles, oreilles, nez, cou... rutilants, même pour travailler aux champs ou charrier des hottes d'osier pleines de bois, de pierres, d'herbes ou d'enfants, dans leurs saris de couleurs fraiches et vives... Hommes élégants, petits et frêles, aux visages émaciés creusés de sillons profonds, au regard aigu, au bonnet carré, au gilet de laine porté sur la chemise à manches longues, et au large pantalon de laine, retenu à la ceinture par le savant nouage du tissu rabattu entre les jambes... composent l'image d'un peuple des montagnes, un peuple rural et accueillant, mais que l'on aurait juré être musulman plutôt qu'hindou ou bouddhiste, et vivre par delà les grandes plaines russes, dans l'Oural par exemple...

 

Nous foulons les sentiers qu'arpentent depuis des siècles marchands indiens et moines tibétains, caravaniers de yaks, commerçants, villageois et trekkeurs. Nous notons l'alternance de forêts subtropicales, de bambouseraies, de villages traditionnels gurungs, sherpas et tibétains, de panoramas époustouflants sur les glaciers et pics himalayens...

 

Ce matin, le jour nouveau s'est éclos sur la fulgurance du blanc des glaciers derrière les nuages, dents acérées griffant le ciel limpide, juste quelques minutes, le temps de savourer, émerveillés, les plus hauts sommets du monde, lumineux et purs, offerts....

 

Nous voici partis à la recherche d'un tourneur sur bois luthier, fabricant de flûtes. Dans sa rue, nombre d'enseignes portent le même nom, sans que nous ne parvenions à localiser celle de Bajra Bahadur Silpakar... sans doute expulsé de son atelier par le séisme de l'année dernière. Alors que nous le cherchons, un commerçant nous informe qu'il s'agit d'un artiste... pleins d'espoir, nous demandons s'il le connaît ? Non, mais c'est son nom qui l'indique : Silpakar signe son appartenance à une caste d'artistes, et le prénom Bajdra est celui des musiciens...

 

Zidane, 18 ans, étudiant en tourisme et management, guide les hôtes de la petite Guest House familiale. Ses arrière grands-parents sont venus du Tibet, à quelques dizaines de kilomètres de là. Son prénom a une consonance népalaise, ses parents l'ont juste un peu francisé après la coupe du monde de foot 1998... Son père accueille leurs hôtes, essentiellement étrangers, sa mère cuisine les produits du jardin, et lui accompagne les trekkeurs. Le 25 avril 2015, quand la terre a tremblé, il était justement en expédition avec deux touristes anglais, et a échappé de justesse à l'éboulement d'une maison sur la route. Sa famille venait de terminer la construction du bâtiment de trois étages qu'elle avait mis 10 ans à construire, avec eau et électricité solaire, quand les deux derniers étages se sont effondrés... En 15 mois, ils ont rebâti. C'est donc Zidane qui guide nos pas à travers monts et vallées, à travers monts et merveilles... pour la plus grande joie des enfants, qui courent devant avec lui comme des cabris.

 

Pour la première fois depuis que nous avons entamé notre tour de la planète, nous traversons un pays dans les foyers duquel ne se célèbre pas le culte du dieu télé... Ici, au pied des géants de glace, entre champs de maïs, champs de moutarde et rizières en terrasse, dans les masures de terre sans eau ni électricité, seulement le nécessaire pour survivre, la vaisselle d'inox, assez de vêtements pour tenir quelques jours, la paillasse familiale, du bois pour faire cuire la soupe de lentilles et le chapati de farine de riz, des poules, la chèvre aux longues oreilles, les outils pour les champs... La société de consommation semble s'être arrêtée aux portes des grandes villes. Les conditions sanitaires sont effroyables, l'espérance de vie est de 67 ans, les charges d'herbes, de bois, de briques, de sacs de riz ou de composte que portent les femmes sur leur dos sont impressionnantes, comme celles des porteurs urbains, dont les cartons dépassent largement la taille, retenus par une sangle sur le front... L'agriculture, essentiellement vivrière, n'est absolument pas mécanisée, et le quotidien des femmes et des hommes de cette vallée est bien rude... mais leur sourire reste inaltérable.

 

Nous avons aussi croisé des enfants et adolescents par centaines, matin et soir, dans leurs uniformes scolaires, pantalons tirés à quatre épingles et chaussures vernies dans la boue ou la poussière des chemins, jupe plissée et chemise blanche, chaussettes de couleur et cravate assortie, nattes impeccables, aux sourires éclatants, qui joignent les mains au niveau du front avec respect, pour nous saluer d'un joyeux "namasté" !

 

Est-ce ainsi dans toutes les montagnes du monde ? Il est troublant de faire ici, en Himalaya, des liens avec les Andes... Les dieux n'y sont pas les mêmes, qui célèbrent le temps des semailles, celui des récoltes, de la pluie ou du soleil... Ils portent des noms différents, ont des visages différents et réclament aux hommes des rites différents, mais les esprits de la montagne, ceux des quatre éléments (les népalais en ajoutent un cinquième, le bois), règnent sur la vie des hommes en altitude comme dans les vallées...

Mardi, après quelques heures de marche à travers la vallée en direction du charmant village de Namobuddha, dont nous admirons le stupa, nous arrivons au monastère tibétain, appelé gompa, de Thrangu Tashi Yangtse. Se détachant d'abord sur la crête de toute la hauteur de son triple toit doré, dominant la colline de son imposante puissance, son approche se mérite, et l'on comprend que son cadre se prête particulièrement à la méditation ! Nous avions déjà remarqué l'omni présence du sacré dans la vie népalaise, mais la visite de ce monastère nous offre une expérience unique, forte et étrange... Nous arrivons à 14h30, ôtons nos chaussures pour visiter le gompa sans que les esprits souterrains collés à nos semelles ne pénètrent ce lieu sacré avec nous, et nous abîmons dans la contemplation du lieu, dont chaque centimètre carré est couvert de peintures, sculptures, offrandes colorées, instruments de musique exotiques... les sols sont couverts d'épais tapis aux motifs géométriques colorés se répétant à l'infini à la façon des mandalas, de petits meubles de bois peint, rouge et or, partagent l'espace perpendiculairement à l'entrée, à l'inverse de nos églises chrétiennes, de façon à ce que chaque moine s'assoit en vis à vis, de part et d'autre de l'allée centrale menant au Buddha d'or... Les murs sont couverts d'exubérantes oeuvres d'art, peintures aux couleurs vives, narrant les étapes de la réincarnation de Buddha, les 437 vies qu'il lui a fallu pour atteindre l'Eveil... L'extérieur du monastère est ceint de moulins à prières et d'étapes pour le pèlerin, et nous observons les moines jouer au diabolo sur le terrain de sport, parcourir les allées entre les différents bâtiments qui composent les habitations, former des grappes pour discuter... Un lama nous informe que la prière quotidienne a lieu à 15h30, nous décidons de patienter... et nous retrouvons alors, spectateurs remarqués, seuls profanes au milieu de plus de 200 moines et moinillons à la robe grenat drapée sur une épaule nue, et à la tête rasée, psalmodiant des prières lancinantes au son du gong et du dungchen, long cor tibétain en bronze posé au sol, accueillis, placés chacun sur un tapis, invités à assister aux rites et à partager le thé au lait et la brioche... On a beau convoquer toutes les références possibles pour se raccrocher à ce que l'on connaît, ce que l'on sait, à ce que l'on a lu, vu, entendu, imaginé, rêvé... le monde qui s'ouvre devant nous nous pétrit d'étrangeté mystique, de perplexité... aucune femme dans l'assemblée, rien qui nous permette de comprendre, juste des couleurs, des sons, des odeurs, encore une belle expérience sensorielle, bouleversante et intime, dérangeante et puissante... Bien entendu, les photos à l'intérieur du monastère, et à fortiori pendant les cérémonies, ne sont pas autorisées...

Mercredi, après une matinée de marche avec Zidane, nous arrivons dans la petite ville de Banepa, dont nous visitons le temple Chandeswori.

Aujourd'hui, de retour dans le tumulte et l'agitation de Kathmandu, nous passons quelques heures dans le Jardin des Rêves, magnifiquement restauré, à deux minutes de marche – mais à des milliers d’années-lumière – de Thamel, le vrombissant quartier touristique où nous avons élu domicile. Le maréchal Kaiser Shamser (1892-1964), dont ce jardin agrémentait le palais, le fit aménager en 1920, après avoir visité plusieurs domaines en Angleterre, et le finança grâce aux gains arrachés à son père (le Premier Ministre) au jeu. Après avoir été laissés à l’abandon, le jardin et ses pavillons ont été ressuscités en 6 ans par l’équipe qui a réalisé le musée de Patan. Des dizaines de jolis détails agrémentent ce petit jardin, comme la porte d’origine, un poème du Rubaiyat d’Omar Khayam gravé dans le marbre, des bassins et fontaines, et un curieux “jardin caché” au sud. 

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Commentaires: 3
  • #1

    mili (jeudi, 01 septembre 2016 19:28)

    Tout ça donne la chair de poule! bouleversant!

  • #2

    Le Parrain (jeudi, 01 septembre 2016 20:53)

    Autre point commun entre Andes et Népal, on y trouve des lamas...

  • #3

    Mamou (vendredi, 02 septembre 2016 12:31)

    alors le parrain tu as toujours le mot pour rire comme dirait Samuel
    Merci pour les photos, celles des terrasses cultivées sont magnifiques, nous voyons que vous êtes toujours bien accueillis, que la nourriture est bonne, bon trek
    bisous à vous 5