Le temple de la littérature, berceau de Confucius

Entre modernisme et tradition, le Viêt Nam décline ses millénaires de cultures superposées, où la Chine joue une grande part.

 

Hier matin, nous avons visité le temple de la littérature, Van Mieu, un endroit fascinant et émouvant. Il a été restauré, et les bâtiments du fond ont été reconstruits selon les méthodes traditionnelles. Dédié à Confucius, ce temple fut construit en 1070 suivant les plans de la pagode littéraire de Kien Fou, village d'origine du vieux sage. Il accueillit en 1075, sous l'impulsion de Ly Nhan Tông, le Collège des enfants de la nation, Quôc Tu Giam, instruisant la future élite du royaume. Il fut rénové par les Nguyên, au début du XIX ème siècle. Les Français le rebaptisèrent le temple des Corbeaux, ces oiseaux y ayant élu domicile. L'enceinte (350 m sur 70 m) est divisée en cinq cours. Les portes et allées centrales étaient réservées au roi, les latérales aux mandarins. On entre dans le temple par une porte principale, supportée par deux colonnes carrées qui délimitent également de chaque côté deux portes dites latérales. Dans une optique confucéenne, l'usage des portes latérales était le symbole de l'humilité et de la patience, qualités indispensables à tout candidat. Le premier jardin s'ouvre sur une allée centrale qui passe entre deux étangs rectangulaires. On passe alors la porte du Grand Milieu, Dai Trung, pour accéder au second jardin, semblable au premier. Deux étangs sont séparés par une allée centrale qui mène au pavillon de la Pléiade, Khuê Van Cac. Son imposant portail est soutenu cette fois par quatre colonnes de marbre décorées de dragons. Il s'agit d'une véritable petite pagode sur pilotis décorés de soleils et de formes géométriques qui rappellent la géomancie, une discipline qui faisait également partie des examens littéraires. D'un des étages de cette petite pagode, on lisait à haute voix, à la fin des examens, les œuvres des candidats. L'endroit servait aussi aux réunions des poètes. Il a été restauré en 1802. La troisième cour est le cœur du temple : de chaque côté d'un bassin de forme carrée, le puits de la Lumière céleste, Thien Quang Tinh, sont alignées deux rangées de 41 stèles chacune (à l'origine il y en avait 117). Elles sont dédiées à des lauréats ayant passé leur doctorat entre 1498 et 1787. Pendant ces quatre siècles, près de 1 000 candidats furent reçus. Outre les concours pour les doctorats ès lettres, ce temple fut le théâtre de 124 concours extraordinaires destinés à l'obtention de titres de noblesse ou de postes administratifs. Les stèles sont soutenues par une tortue, symbole de patience, d'humilité et de longévité – qualités que les candidats souhaitaient à leurs écrits. Parmi les lauréats dont les stèles se trouvent dans le palais de la Littérature, certains portent des noms connus : The Vinh, mathématicien du XV ème siècle, lauréat à 23 ans ; Nguyên Duy Tai, reçu en 1598, avant de devenir un grand diplomate vietnamien ; ou encore Bat Tu qui, au XVII ème siècle, instaura les premières réformes sociales dans le pays. En passant la dernière porte, on arrive dans l'enceinte du temple. Celui-ci, bâti sur 40 piliers, abrite la tablette de Confucius, encadrée de grues et de tortues, symboles de longévité. Dans la cinquième cour se trouve le collège. Le 19 mai 2003, le président de la République, Trân Duc Luong, a inauguré quatre statues en bronze des rois Ly Thanh Tông (XI ème siècle), Ly Nhân Tông (XI ème -XII ème siècle), Lê Thanh Tông (XV ème siècle) et du mandarin Chu Van An (1292-1370), qui avaient contribué à la fondation, en 1070, puis à l'épanouissement du premier collège du pays (Quôc Tu Giam). Les statues ont été moulées par les artisans du village traditionnel du travail du bronze de Ngu Xa (Hanoi). Aujourd'hui encore, les visiteurs viennent y faire des offrandes... Quant aux enfants, ils ont trouvé, au coeur des bambous, banians et lotus, des tipaniers et bégonias, avec les fleurs desquels ils ont rempli le chapeau pointu d'Arthur ! 

 

Nous avons consacré notre après midi à la visite de la citadelle impériale de Thang Long, devenue, le 31 juillet 2010, le 900 ème site à être inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de l'Unesco. Dans le district de Ba Dinh, la citadelle occupe une zone délimitée à l’ouest par la rue Hoàng Diêu, par la rue Nguyên Tri Phuong à l’est, par le club de l’Armée au sud, et par la rue Phan Dinh Phung au nord. Cela fait longtemps que les empereurs ne règnent plus derrière les tentures de la cité interdite. Les changements de régime ne l’ont pourtant pas détournée de sa vocation initiale, sanctuaire du pouvoir, vouée au secret, et inaccessible au commun des mortels. Ce n’est que tout récemment qu’elle s’est découverte au public, suscitant une intense curiosité parmi la population de Hanoi. Auparavant, seules les familles des militaires – certes, nombreuses – avaient leurs accès en ces lieux. Ce qu’on en savait, c’était par ouï-dire, et cela approfondissait le secret. En 2000, le ministère de la Défense a officiellement remis la rue Nguyên Tri Phuong au comité populaire de la ville de Hanoi, qui l’a ouverte à la circulation. La citadelle a ouvert ses portes le 2 octobre 2004, dans le cadre des célébrations marquant le 50 e anniversaire de la libération de la capitale (10 octobre). Pendant quelques jours, des milliers de visiteurs se sont succédé, peut-être dans l’espoir de participer au mystère avant qu’il ne se soit totalement dissipé, avant que la citadelle ne devienne un site touristique parmi d’autres. Le site mérite qu'on lui accorde du temps. Au cœur de la ville, en semaine, lorsque les visiteurs sont rares, il offre un havre de paix propice à la méditation. Des jardins de bonsais contribuent à l'attrait du lieu. À l’origine la citadelle a été construite en 1010 lors du transfert de la capitale de Hoa Lu à Thang Long par le roi Ly Thai Tô. Elle a ensuite connu plusieurs agrandissements successifs. C’est un emboîtement de trois cités distinctes : au centre, la cité pourpre (Dragon-Phénix, Long Phuong), résidence royale sous les dynasties des Ly et des Trân. Deuxième emboîtement, la cité impériale puis la citadelle, élément le plus extérieur (La Thanh ou Dai La Thanh). En 1805, la dynastie des Nguyên (qui a sa capitale à Huê) fait agrandir la citadelle et transformer la cité interdite en résidence pour les mandarins en poste dans le Nord. Pendant la période coloniale, les Français détruisent la citadelle, dont il ne subsiste aujourd’hui que quelques ouvrages, et transforment la zone en quartiers militaires. Quatre ouvrages ont été préservés : il s’agit, sur un axe central sud-nord, de la porte Doan Môn (Porte Sud), du palais Kinh Thiên, du pavillon des Concubines (Hâu Lâu) et de la porte Nord (Bac Môn ou Cua Bac). La porte Doan Môn était l’entrée protocolaire de la cité interdite, au sud de celle-ci. Elle présente des parties originales du XV e siècle et des parties restaurées au XIX e siècle. Construite dans le style chinois, en brique, elle est surmontée d’un pavillon à deux niveaux. En 2012, des fouilles conduites au nord de la porte Doan Môn ont révélé la présence d'un ancien ouvrage hydraulique en brique remontant à la dynastie des Ly (XI ème siècle), situé à 4,2 m au dessous du sol et d'une dimension très importante. De nombreuses hypothèses ont été formulées sur son utilisation, notamment celle d'une irrigation à caractère symbolique pour apporter l’eau qui est un des éléments importants du Feng Shui, prodiguant longévité et prospérité à la cour impériale et au pays. Le palais Kinh Thiên remontait au début du XV e siècle. Il a été détruit par les Français en 1886 ; ils y ont installé le quartier général de leurs forces d’artillerie. Aujourd’hui ne subsistent que des vestiges : escaliers et dragons en pierre sculptée. Le palais se situe au cœur de la cité interdite et était utilisé à l’occasion du sacre des rois. À partir des vestiges, il faut l’imaginer, construit sur une plate-forme surélevée, entouré d’une véranda et accessible par de grands escaliers latéraux. La double toiture était soutenue par des piliers en bois. Les dragons de pierre portent la marque du style en vigueur sous la dynastie des Lê. Le pavillon des Concubines est une construction de brique surmontée d’une structure à plusieurs toits. Destiné aux femmes de la cour, il a été bâti au XIX e siècle et reconstruit pendant la période coloniale. Quant à la porte Nord (Bac Môn) , reconstruite en 1805, elle est aussi construite en brique, mais les angles sont renforcés en pierre. On y observe des motifs figurant une fleur de lotus. Les stèles sont gravées de trois caractères signifiant « porte principale du Nord » (Chinh Bac Môn). Les traces de boulets de canon constituent la preuve, disent les guides vietnamiens, de l’agression française contre le Tonkin. Une plaque de pierre gravée en français indique : « 25 avril 1882, bombardement de la citadelle par les canonnières Surprise et Fanfare ». Lorsque la citadelle s’est ouverte au public, plusieurs expositions ont été organisées. L’une d’elles était consacrée à l’histoire de Thang Long et présentait des documents ainsi que des objets archéologiques des dynasties Ly (1009-1225), Trân (1226-1400) et Lê (1428-1527 et 1592-1789) retrouvés sur les sites de Doan Môn, Hâu Lâu et Cua Bac. Mais l’histoire de la citadelle est aussi contemporaine. Une autre exposition s’intitulait « La maison D67 et la grande victoire du Printemps 1975 ». La maison D67, située derrière le palais Kinh Thiên, abritait le bureau des généraux Vo Nguyên Giap et Van Tiên Dung ainsi que la salle de réunion du bureau politique et du comité central du Parti pour l’armée pendant les dernières années de la guerre américaine. Les visiteurs ont ainsi eu l’occasion de descendre dans l’abri souterrain prévu en cas de bombardements.

 

Notre impression générale est la déception : les français ont détruit un patrimoine architectural millénaire, l'aspect militaire du lieu domine, et l'extraordinaire chantier archéologique ouvert en 2012, s'il a permis de mettre au jour des strates allant du VIII au XI ème siècle, n'a pas encore livré tous ses secrets...

Écrire commentaire

Commentaires: 0