Trekking au Kawah Ijen

Le rayon jaune des phares troue la nuit. Il éclaire une route cahoteuse, les lianes des bas côté, parfois le gros oeil rond d'une moto roulant à vive allure en sens inverse. Il est 3 heures 10. A l'arrière de notre jeep d'un autre âge, Arthur s'est tout de suite rendormi, Salomé cherche un repos agité, tandis que Samuel veille, attentif et vigilant, le nez collé contre la vitre. On nous avait bien dit qu'il risquait de faire froid, mais quand même, il était difficile de l'imaginer dans la fournaise de la journée. La fraîcheur nous saisit pourtant dès que nous humons la nuit, faisant ressortir toutes les odeurs de la terre. Sans doute pas plus de 20 degrés... pas moins non plus ! La lune nous accueille avec un mince croissant doré, couché sur le dos, comme dans l'hémisphère sud. Son ventre rond se laisse admirer, fermant le cercle parfait de l'astre par un trait d'obscurité. La nuit nous appartient... Au fur et à mesure que l'asphalte défile sous nos pneus, les pulls deviennent nécessaires, nous prenons de l'altitude. Le jour commence à poindre, éclaircissant le ciel à l'est, décrochant progressivement les étoiles, ainsi que les derniers cerfs-volants illuminés, qui flottaient hier par dizaines dans le ciel de notre village, alors que nous observions les étoiles avant d'entamer notre courte nuit. L'odeur de soufre se précise, insiste, s'invite jusqu'au creux du ventre, qui est resté vide. Je vérifie les sacs du regard : de l'eau, des biscuits secs, des bananes, les vestes North Face, les lampes frontales. Rien ne manque. Les enfants dorment. A t on bien fait de les embarquer dans pareille aventure ? Ne seraient ils pas mieux au lit ? C'est long, c'est haut, il fait froid, il fera chaud, c'est dangereux aussi, il y a les vapeurs toxiques, et puis le choc des conditions de travail des mineurs que nous allons voir, on a beau le savoir, en avoir parlé...  Une bicoque, deux hommes emmitouflés, cagoulés : l'entrée dans le parc du volcan. Billets en poche, notre droit d'entrée sur le ventre du gunung Ijen, notre sésame, sacs sur le dos, nous quittons la jeep, qui nous apparaît soudain presque douillette. La lueur du jour grandissante chasse devant elle l'obscurité, mais les frontales sont encore nécessaires. Il y a une foule de véhicules en tout genre sur le parking. Nous achetons des masques de protection contre les émanations toxiques, croisons des silhouettes fantômes dont seuls, les yeux dépassent, entre bonnet et masque à gaz. Le froid est saisissant mais l'excitation monte, les enfants sont d'attaque, nous allons escalader un volcan. Est-ce que ce sera comme les fumerolles de Masaya, au Nicaragua ? Comme les geysers d'El Tatio, en Bolivie ? Comme l'ascension du Chimborazo, en Equateur ? Comme les mines d'argent de Potosi, au Pérou ? Comme les immenses cratères sulfureux de Rotorua, en Nouvelle-Zélande ? Nous ne le savons pas encore, nous nous en doutons, cela ne ressemble à rien de ce que nous avons déjà vu. 3 kilomètres seulement nous séparent de la bouche de soufre du volcan, et de son lac émeraude, le plus acide au monde. Une distance que nous mettrons une heure à parcourir, beaucoup de dénivelé, et la beauté époustouflante d'un lever de soleil sur les flancs des volcans alentours, dessinant ombres et lumières en dentelle, avec délicatesse... Sur notre route ascendante, nous croisons progressivement des hordes de trekkeurs descendants... Ceux qui ont vraiment fait nuit blanche, et qui auront eu le privilège d'assister au mariage du gaz soufré et de l'air, sous sa forme bleue évanescente et volatile... Peu à peu, des dizaines de groupes plus ou moins bruyants nous sollicitent pour une photo, et les enfants sont le centre d'une admiration exprimée avec insistance et force exclamations : pouce levé, regard attendri, "very strong" ! Pourtant, l'ascension en elle même n'est pas très physique, ni très longue, ni très haute. Un seul couple d'européens, croisé à mi parcours, nous conseille de redescendre, cet endroit est dangereux pour les enfants... oui oui... Le travail des mineurs n'est pas mécanisé, et nous croisons des porteurs tirant ou poussant de petites charrettes cahotantes, chargées de touristes "fatigués"... ici, pas de chevaux ou d'ânes non plus, c'est à dos et à bras d'hommes que tout se passe... Nous apprivoiserons le volcan depuis son sommet, amorçant à peine la descente dans le cratère. Les vapeurs de soufre cachent le lac émeraude, à peine devine t on sa présence quelques secondes, entre deux geysers...

 

Voici le récit que fait Eve (www.empreintedasie.com) de son ascension de nuit. Je le lui emprunte. Notre propre ascension nous a permis de saluer le jour à flanc de volcan, alors que la leur a commencé à minuit...

 

A la nuit noire nous amorçons notre plongée vers le « cratère vert ». Ou plutôt nous commençons notre ascension du volcan. Mais le gunung Ijen se laisse plus aisément courir les flancs.

 

Après quelques kilomètres de montée nous sommes aux bords de la marmite. Nous entamons une descente glissante à la lumière de nos torches, le plus précautionneusement du monde, pour nous approcher de la gueule brûlante.

Nous voilà dans le royaume du soufre sous toutes ses formes. Le voilà gaz ; Pak Im n’a de cesse de siffler pour chasser la colonne de fumée toxique et irritante – chargée de dioxyde de soufre – qui s’échappe en continu et cherche à nous envelopper. Le volcan a allumé plusieurs foyers de flammes bleues qui résultent de la combustion du soufre qui entre en contact avec l’air libre. Spectacle étrange et fascinant que ces feux follets irréels qui dansent et luisent dans la nuit. Pak Im ne tient pas à ce que nous nous éternisions au fond du cratère. Nous remontons lentement derrière notre porteur de flambeau pour aller prolonger la magie un peu plus haut ; nous quittons alors les masques à gaz et attendons de cueillir le jour. Les flammes bleues s’éteignent peu à peu tandis que se révèlent les contours du cratère et le turquoise de son lac au taux d’acidité le plus élevé au monde, cocktail d’acide chlorhydrique et sulfurique.

 

Et le soufre est liquide.. Tout en bas nous l’avons vu couler en une grosse goutte dégoulinant doucement, tirée par la gravité. La procession des travailleurs a commencé dans cette mine à ciel ouvert qui ne connaît pas l’industrialisation. Un saut dans un autre monde.

 

Les ramasseurs récoltent le soufre refroidi et cristallisé : le voilà devenu solide. Brisé en gros blocs il vient remplir les paniers de leur palanche. Ballet de l’or jaune. Et ballet des braves. Car du courage il en faut pour affronter quotidiennement le Ijen et ses émanations. Des dangers, il en recèle le sacripant. Notamment sous les eaux couleur de pierre précieuse de son lac en apparence paisible. Il peut arriver qu’une grosse bulle se forme et éclate libérant des vapeurs mortelles. Comme en 1976… 49 mineurs sont morts ainsi ; 25 en 1989 ; d’autres encore en 1997… Alors il faut guetter les signes : quand les eaux bouillonnent c’est que la décoction mortifère est en préparation sous le miroir diamantin. Mais ces hommes n’ont peur de rien nous dit Pak Im. Ou si, ils ont peur de la faim.

 

Les palanches chargées, c’est de 60 à 120 kilos qui viennent peser sur le dos d’hommes qui font à peine le poids d’un seul de leurs paniers. 400 mètres pour remonter jusqu’aux bords du cratère. Puis 2 000 mètres de dénivelé pour atteindre la baraque de pesée où ils pourront décharger leurs épaules de leur trop lourd fardeau.

 

Avant c’étaient 17 kilomètres qu’il fallait parcourir. Aujourd’hui les mineurs compensent le trajet plus court en montant 2 ou 3 fois dans la même journée débiter du soufre. Pak Im se souvient qu’à ses débuts le kilo récolté était payé 50 roupies contre 700 aujourd’hui… Quelques centimes d’euros… Un salaire qui vaut qu’on prenne tous les risques. Et la liste des prétendants est longue ! Ce salaire dérisoire est en effet bien supérieur à celui des paysans du plateau…

 

Nous finissons par lentement redescendre, doublés par des porteurs trottant et grimaçants. Des singes font frémir les arbres, nous les voyons sauter de l'un à l'autre. Seules créatures sauvages visibles. Les plus anciens ramasseurs se souviennent des autres, des panthères notamment, qui peuplaient leurs nuits, allumaient de leurs yeux une lueur jaune dans les fourrés et une terreur au creux du ventre.

 

Nous retrouvons la chaleur d’ Ibu Im, de sa cuisine et de son thé au gingembre. Le soufre, lui, continue sa course. Il prendra dans quelques usines d’autres formes encore : il sera cosmétique, médicament, bout d’allumettes, poudre à canon, blanchisseur de sucre…

 

Au moment du départ nous emportons un petit bout de cet or couleur soleil donné par Pak Im ; mais nous emportons surtout le regard lumineux de Pak, le rire de Ibu, la douceur des gens d’ici… c’est ça notre vrai petit bout de soleil.

 

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Commentaires: 2
  • #1

    mili (vendredi, 03 juin 2016 10:34)

    Tu nous fais froid dans le dos! On avait vu le reportage sur les mines de souffre qui a fait connaitre ce volcan mais on n'avait pas réalisé que c'était là que vous alliez!!!Je pense que vous en resterez tous marqués à vie !BRRR

  • #2

    mamou (vendredi, 03 juin 2016 11:47)

    brrr<<<....brrr... quelle aventure, de quoi vous hérisser les poils.
    Comme d'hab notre Arthur a continué à dormir pendant le voyage, et Samuel, Salomé à regarder partout. Ils pourront raconter.
    Je pense que beaucoup de photos des enfants vont faire peut-être le tour du monde.
    Bisous