Nous voici arrivés à Potosi, au pied de la montagne rouge, à 4 300 mètres d'altitude... Visite de l'incroyable couvent San Francisco... Nous sommes d'ailleurs logés dans un ancien couvent, mais
l'ambiance de ce modeste hospedaje n'a rien de monastique... En attendant, demain, de vous narrer la visite des mines, voici une littérature qui n'est pas la nôtre, mais qui permet de
comprendre notre émotion à remettre nos pas en ces lieux...
A plus de 4 000 m d’altitude, frappée par le blizzard des Andes et son soleil si proche, s’étage la ville impériale de Potosí, la huitième merveille du monde selon le chroniqueur espagnol du
XVIIème siècle, Don Diego de Ocana. Après trois siècles de faste, cet ancien centre du Nouveau Monde est aujourd’hui une ville endormie gisant au pied de ce qui fut à l’origine de sa gloire, le
Cerro Rico. Les trente-trois églises et couvents, les impressionnantes maisons coloniales et la fabuleuse casa de la Moneda sont restées figés, comme un décor de théâtre immuable. Parfois,
cependant, l’émerveillement cède à la tristesse. Comment oublier que cette région de la Bolivie détient le triste record du P.I.B. le plus bas par habitant des neuf départements du pays ? C’est
en 1987, un peu tardivement peut-être, que l’Unesco décerna le titre de patrimoine de l’humanité à Potosí. Pourtant, le visiteur, séduit par ce concentré d’art baroque qui a survécu à la chute
de l’argent et aux pillages criminels, n’oubliera pas que l’histoire est un éternel recommencement, et que le remède à cette détresse existe toujours : on évalue à trente milliards de
dollars les richesses qui dorment encore dans les entrailles du Cerro Rico. En d’autres termes, la montagne abriterait environ six années du produit intérieur brut de la Bolivie ! Mais toute
solution radicale a un prix à payer, et celui-là est particulièrement élevé puisqu’il faudrait exploiter le minerai à ciel ouvert et démolir le vestige le plus singulier de la construction de
l’économie mondiale. Les années passent, le vent continue à souffler comme à l’époque des conquistadores. Aujourd’hui, le capitalisme n’est plus dans son adolescence et malgré la souffrance, la
détresse et l’exploitation, comme disait Miguel de Cervantès : « La ville impériale vaut toujours un Potosí ! »
Histoire
C’était l’el dorado. Pendant quatre siècles, Potosí fut le nombril de l’Espagne coloniale comme Cuzco, l’espace d’un siècle, fut celui de l’Empire inca. Des centaines de caravanes de lamas
apportaient les produits les plus extravagants à la ville impériale, et ces mêmes caravanes repartant vers les ports de Buenos Aires ou d’Arica, chargées de milliers de lingots d’argent. L’Europe
de la Renaissance et du mercantilisme n’aurait pas connu toutes ses avancées sans l’argent de Potosí, plus grand complexe industriel du Nouveau Monde. Les historiens estiment que l’Europe reçut
depuis 1545 et jusqu’à l’indépendance de l’Amérique du Sud, quelque 50 milliards de dollars en lingots et makukinas (les pièces frappées à la casa de la Moneda). Ce butin, qui provenait de la
riche colonie, était chargé à bord des galions espagnols. Encore ne tient-on pas compte de l’argent qui était distribué tous les ans à Lima, Buenos Aires ou Santiago, ou qui circulait entre les
mains des commerçants. A son apogée, Potosí était un paradis de plaisirs et de luxes démesurés, où se déroulaient d’éternelles bacchanales. Le sang argenté des mines permit de réaliser les
projets les plus prestigieux, entre autres celui de doter la ville de sa propre école d’art. A la tête de celle-ci se trouvait le peintre Melchor Perez de Holguin, qui apparaît sur les billets de
10 bolivianos. Selon l’explorateur Alexandre von Humboldt, entre 1545 et 1802, la production atteignit mille millions d’onces de métal. Soit 40 000 tonnes d’argent. Cette première estimation
donne une idée du flux qui put irriguer l’économie mercantiliste de l’Europe à cette époque. Et nous ne parlons pas seulement de l’Espagne. Il est vrai que les rois espagnols purent édifier
le palais de l’Escorial, près de Madrid, grâce à cette manne. Il est vrai aussi que Séville, où se situait la casa de Contratacion, octroi des comptoirs des Indes, sut tirer profit de cette
richesse démesurée. Mais l’Espagne ou le Portugal, comme toute nation vivant d’une rente de matières premières, se sont progressivement appauvris au lieu de s’enrichir. L’effet conjugué de
l’Inquisition espagnole, fruit de la Contre-Réforme, et de cette politique économique suicidaire, fut la prolongation artificielle du Moyen Age dans la péninsule Ibérique. Les vrais bénéficiaires
de Potosí auront été les nations mercantilistes et marchandes de l’Europe, fournisseurs de la couronne espagnole : l’Angleterre, la Suisse, la France, la Belgique et les Pays-Bas. Tandis que
l’Espagne dopait les exportations de ces pays, sa balance commerciale s’effondrait et son endettement ne cessait d’augmenter. Potosí, qui pavait le chemin du capitalisme, faisait sombrer
l’Espagne et ses gouvernants insouciants, les Habsbourg et les Bourbons, dans le sous-développement. Cette succession de phénomènes économiques explique en partie le sous-développement de la
Bolivie, qui n’a pu se libérer de son destin de producteur de richesses pour le reste du monde. Sort douloureux qui consistait à regarder s’échapper l’espoir dans le ventre des galions espagnols
tout en restant les mains vides. « La très célèbre, illustre, auguste, magnanime, noble et riche ville de Potosí, le monde en miniature ; honneur et gloire de l’Amérique ; centre du Pérou ;
impératrice des peuples et villes du Nouveau Monde ; reine de son opulente province, princesse des terres indigènes, patronne de trésors et fortunes, mère bénigne et accueillante des fils venus
d’ailleurs. » (Histoire de la ville impériale de Potosí , Bartolomé Arzans Orsua y Vela, 1705)
La ville aujourd’hui
Peuplée de 241 000 habitants, Potosí est une bourgade qui paraît reléguée très loin hors du temps. Les Européens sont loin d’imaginer qu’une partie de leur histoire s’est forgée dans les mines
potosínas. Sait-on que si Miguel de Cervantès usa de l’expression « Vale un Potosí ! », le summum en langue espagnole pour qualifier un objet de valeur unique, c’est parce qu’il voulait s’y
rendre pour faire fortune. Un ami proche avait réussi à le faire nommer maire de la ville de La Paz. En vain ! Comme don Quichotte se serait indigné de la mort de millions de mitayos, ces mineurs
de la riche montagne sacrifiés à l’ambition carnassière des conquérants ! Les mineurs mangeaient la montagne et la montagne mangeait les mineurs. Ils n’étaient pas à proprement parler des
esclaves, mais les conditions de travail et le coût de la vie (le plus haut de l’histoire de l’humanité) ne leur laissaient qu’une courte espérance de vie. En 1990, la ville a été déclarée
capitale de la dignité nationale, proclamation assurant que plus jamais le peuple de Potosí ne permettra le pillage de ses ressources naturelles. Pourtant, une visite des mines montrera les
conditions actuelles de travail et de vie des mineurs, de plus en plus nombreux à reprendre le chemin des galeries obscures. Près d’un siècle et demi après l’écriture de Germinal , l’histoire
semble s’écrire sur un même parchemin ! « Un jour le monde devra demander pardon à Potosí. » Eduardo Galeano, Les Veines ouvertes de l’Amérique latine.
Potosi, patrimoine mondial en péril.
La ville de Potosi, inscrite au Patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1987 a été déclarée, en juin 2014, en péril. En cause, les activités minières incessantes et incontrôlées dans la montagne du
Cerro Rico, qui risque de s'effondrer et de dégrader la cité coloniale du XVIème siècle. Près de 100 km de souterrains, secoués quotidiennement par des explosions de dynamites, sont creusés dans
le Cerro Rico et les effondrements de galeries sont légion. Seule ressource de la région, la mine n'est pas prête de fermer et le risque d'accident ne cesse de s'accroître.
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Mamou (vendredi, 04 mars 2016 11:41)
Je n'imaginais pas que Potosi culmine à 4000 mètres.
Merci pour cette description détaillée et très intéressante,on comprend qu'elle soit inscrite au patrimoine mondiale de l'humanité, Bonne visite des mines d'argent.